Sérénité (05 octobre 2006)

C'est le jour J... Celui que je me fixe pour travailler hors de chez moi. Le téléphone a sonné. Plusieurs fois. Et je n'ai pas posé les yeux sur l'écran, ne serait-ce que pour savoir qui m'appellait. Non, je n'ai pas envie de décrocher... J'ai peur de changer d'avis. De me trouver une excuse grâce à celui ou celle que j'aurais eu en ligne.

Il faut que je sorte. Faire quoi ? N'importe quoi. J'ai besoin d'avoir besoin de voir ou de faire qqe chose. Je ne peux pas rester enfermée ici à attendre le moment que je me suis fixé. Je tourne en rond, sans rien faire de particulier. Il faut que je sorte. Je ne surveille pas ma tenue ni même ma tête avant de claquer la porte. Il faut sortir maintenant sinon je me connais. Simplement mes documents de travail sous le bras et en avant. Je descends en trombe et passe la porte de mon immeuble ..

- Bonjour, me lance Yvon, le gars qui a ouvert son entreprise en face de chez moi. Il est sympa ! C'est le premier avec qui j'ai échangé dans le quartier, avec le pretexte de nos scooter identiques. Tu vas bien ? Il fait super beau. T'as raison de sortir...

-'jour, je lui réponds d'une voix éraillée. Pas envie d'aller plus loin dans la discussion !

- Ouh ca n'a pas l'air d'aller aujourd'hui ! Tu n'es pas malade ?

- Non, non non non non ... C'est sûr, j'aurai pu dire "non" une seule fois... je veux rester calme mais Yvon n'a pas remarqué...

Faut rester calme. Impassible. Faut avoir une tête neutre, maitriser ma voix, mon visage, mes yeux. J'ai essayé. J'ai du mal.

- Non, non, je reprends. Tout va bien ... j'ai rendez-vous... je file, Yvon ... A plus ..

Rester calme. C'est tout de même pas grand chose ! Là, j'ai l'air d'une poule. Les poules, quand elles marchent, elles bougent la tête sans cesse ! Je ne parviens pas à fixer mes yeux sur qqe chose, le pas de ma course, le trottoir, je sais pas ... Rien ... je n'y parviens pas  

A 33 ans, je découvre que je me comporte n'importe comment. Mes pieds ne suivent pas de ligne droite. J'écoute mais je n'entends rien.. Je ne suis pas maitre de moi-même, presqu'inconsciente... je ne maitrise rien !

Me voilà dans la rue, sans but précis et pourtant, il faut que je m'en rapproche. Où aller ?

A peine qqes pas... la vitrine du marchand de journaux du coin de la rue. Je m'arrête. C'est exactement ce qu'il me fallait. Des affiches criardes "XXX anéanti. Il perd l'homme de sa vie".... "Star Academy, 1 nouveau couple" ... Des têtes que je ne connais même pas et qui font la Une de ces journaux ..

Je reste plantée devant la vitrine, à regarder tout ça sans rien voir. Je ne sais même pas qui sont celui-ci ou celle-là. Je m'en fiche. Je ne vois pas.

J'entre et dis "bonjour", laissant trainer mon regard sur les milliers de magazines disposés autour de moi. Le marchand me fait remarquer que nous nous sommes déjà vus ce matin. Il a raison ! Et les journaux que je lui achète habituellement, je les ai déjà pris tout à l'heure !! Là, je n'ai plus rien à lui acheter... Alors j'erre... Il n'y a pas un magazine sur lequel je m'arrête vraiment. Je les touche, les déplace.. n'en ouvre aucun ... Mon esprit est ailleurs et j'ai beau tenter de me concentrer . Non !

Ca fait bien 1/4 d'heure que je laisse trainer mon regard.. Faut que je fasse qqe chose, là, parce que le marchand va commencer à me trouver curieuse ! Lui qui est toujours accueillant avec moi !

Alors je saisis le premier journal qui me passe sous la main. Ouest-France.  Je l'ai déjà acheté ce matin...  Faut que je prenne autre chose. Sinon, il va me prendre pour une folle. Alors je prends Elle. Je ne le lirai pas - je n'aime pas les féminins, mais il fallait que je sorte avec qqe chose.

Je paie et le salue du bout des levres. En sortant, je regarde l'heure sur mon portable. 3 appels en absence. Je ne vais pas écouter les messages. J'ai peur qu'ils me fassent changer d'avis.

J'ai encore 1/4 d'heure avant l'horaire que je me suis fixé. Qu'est-ce que je fous avec Elle dans les mains ?!

Mon esprit malin a trouvé une autre idée : modifier mon chemin pour le faire durer.  Moi qui voulais perdre du temps, voila le pretexte révé. Je prends à 90 degrés de là où je dois me diriger. Et me voici partie dans une rue que je connais par coeur, sans aucun attrait, m'éloignant de mon objectif ! Je me domine si mal que mes talons s'entrechoquent. Je ne regarde pas ma route. Je connais cette rue.

Je ne vais pas être en retard puisque c'est moi qui me suis fixé l'horaire et que je ne suis ni attendue ni prévue. Et le fait de déambuler dans une direction opposée m'apaise. Je reprends le dessus et mon petit démon avec : "Et si finalement je n'y allais pas... Si je changeais d'endroit... On s'en fiche.. Ya que moi qui l'avait prévu !"

Non, non. Décidemment, je ne fais que des conneries ! "C'est toi qui l'as décidé, ma cocotte - tiens c'est à propos ! - tu vas jusqu'au bout. C'est quand même pas difficile de faire les choses telles que tu les avais prévues alors tu ne vas pas te dégonfler !"

Je marche dans la rue comme une dératée. J'ai fait demi-tour, me dirigeant enfin dans la bonne direction. Poule ou pas poule, je marche n'importe comment, tourne la tête dans tous les sens, à la recherche d'un repaire qui m'apaise. Je ralentis. Me concentre sur chacun de mes pas. J'ai terriblement chaud.

Ici, je ne sais jamais comment me vêtir. Il fait tout le temps beau et puis parfois, la pluie tombe d'un seul coup, sans signe avant-coureur. Et tout à l'heure, le sol que je voyais mouillé par la fenêtre m'avait poussée à enfiler un pull et me couvrir d'une veste. J'ai de plus en plus chaud mais n'ai pas envie d'encombrer mes bras d'une veste enlevée en plus. Faut assumer ! A défaut de me maitriser, je ne souhaite pas me trouver avec les bras encore plus encombrés. Paraitre décontractée. Avant tout. Surtout ne pas avoir l'air encombré !

J'arrive au bout de la rue. Là haut, je serais arrivée. Et plus mon but approche, plus la chaleur m'envahit. J'aurais envie de m'arrêter. Me dissimuler sous le porche d'un bâtiment. Arrêter tout. Reprendre mon souffle. Baisser de température... Mais je sais que si je m'arrête, c'est foutu, je n'avancerais plus. Alors, je ralentis encore. La rue monte toujours. Mais d'ici, je ne vois pas encore mon but. Le tournant m'en cache et cela me rassure. Cela me laisse le temps de me préparer. Plus j'approche, plus je sens que ma tension monte en flèche. Je m'éponge le front. Avec ce qui parcourt mes veines, il y aurait de quoi alimenter les réacteurs d'une fusée ! Il faut que je me calme. Encore une fois, j'ai refusé de réflechir avant d'agir. Maintenant, le manque de préparation à cet événement me saute à la figure. "Qu'est ce que je vais faire ? Qu'est ce que je vais dire en arrivant ? Et si je n'y allais pas ?"

Je croise un jeune homme, plutôt charmant.

"Hep !" Je voudrais l'appeler. "Jeune homme ! Ca ne va pas du tout ! Est-ce que ca vous ennuie de m'accompagner ? Vous paraissez plus calme que moi..."

Le jeune homme s'éloigne. Il ne m'a même pas remarquée.

Je m'arrête enfin un instant. Respirer. Envoyer un peu d'oxygéne dans mon cerveau. Je me concentre sur l'événement. "Faut rester calme, impassible. Ca laisse le temps de réflechir". Je sais pourquoi je n'ai pas pris le temps de réflechir. Si je réfléchis, je n'irais jamais. Je n'ai plus que l'angle de la rue avant de me trouver devant la porte. 

J'ai de la chance, aucune voiture ne passait pour m'écraser. J'ai traversé la rue en trombe. La rue est aussi paisible que je suis nerveuse. Non seulement je sais bien que je ne maitrise rien mais avec tout ce calme, je me sens ridicule.

Me voilà devant la porte. Quand j'entre, mon premier regard fixe la table sur laquelle j'ai coutume de me poser. Chargée de mes documents, j'avance en titubant. Il y a d'autres gens dans la salle. Le bruit me rassure. Je ne sais pas si c'est ce que ressent un spéléologue qui s'est engouffré dans un cul de sac, mais j'ai l'horrible sentiment que je n'ai plus d'échappatoire !

J'ai une seconde, pas une de plus, pour sourire et celui-ci me vient naturellement. Ouf !

A la seconde où j'ai passé la porte, mon coeur s'est apaisé.  J'ai toujours chaud mais ma tension tombe, d'un seul coup. Je suis encore incapable de dire autre chose que Bonjour. Est-ce que je me peux m'asseoir pour travailler ?. Ca c'est simple, c'est ce que j'avais déjà dit les précédentes fois.

Et c'est la réponse qui achève de m'apaiser : Bien sur ! Vas-y comme si c'était devenu une habitude ... Je regarde à peine la salle, ni même mes interlocuteurs. Je suis incapable de dire combien de personnes peuplent le lieu. Je monte la marche, pose mes affaires, tire la chaise à moi. Ce petit coin discret, presque retranché et pourtant en plein centre de la pièce. Le coin que je préfére. Et c'est à la seconde où je suis posée que la chaleur me quitte définitivement. Mon corps s'immobilise. Mon coeur ralentit.

Je retrouve enfin cette sensation de bien-être et de sérénité, précisément ici, celle que je suis venue chercher !

 

merci à S.T.

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