Une porte. Cette porte, vitrée, d’une banalité confondante. Une porte entre 2 espaces en tous points égaux, qui sépare 2 plateaux téléphoniques regroupant les mêmes compétences, d’une même équipe.
Une porte qu’on vous demande de fermer après chacun de vos passages, soit 18 fois par jour, itérant, passage après passage, l’agaçant grincement de la poignée vieillie et le claquement du battant qui se ferme.
Une porte qui ne coupe ni du bruit, ni des courants d’air, et encore moins de la vue, puisqu’elle est transparente. Mais qui est là et qui symbolise tout !
Plus de convivialité, davantage de fluidité, moins de bruit... la faire sauter apparaît comme une évidence. Pour ainsi faire cesser l’usante question de la répétition, oublier la contrainte du geste et effacer l’esprit cloisonnant qu’elle représente. Cette porte.
Je propose donc de la démonter. 1 minute à peine, en un tour de main. Le souci serait réglé, engendrant alors, de manière concrète, ce nouveau dynamisme que la direction souhaite impulser, et par nous, dirigeants, voir incarné.
Mais mais mais … suis-je bête ?! Comment avoir pu oublier que nous étions en France ?? Ce fameux pays de la procédure administrative, du syndicalisme et du salarié protégé. Malheureuse ! Démonter une porte, ça ne se fait pas comme ça ! Ici, il faut passer par le CHSCT* . Evidemment ! (*pour ceux qui ignorent cet acronyme, je vous laisse aller le googler. Ca vous divertira !).
Et passer par le CHSCT, cela signifie : Informer la direction. (on parle bien de supprimer une porte qui ennuie tout le monde !) Puis, par voie officielle, adresser une demande aux représentants du CHSCT. Attendre que ceux-ci en aient pris connaissance. Échanger pour fixer une date de réunion lors de laquelle le projet sera examiné, discuté. A l’issu, un accord, fruit d’une décision commune et finale, te permettra alors de prévoir la rédaction d’une information complète, mentionnant le processus de démontage de la porte, et sa diffusion générale et officielle (ce sujet des plus importants doit être su de tous!). Une fois la communauté informée, là et seulement là, tu pourras envisager le démontage de la porte. Cette porte vitrée.
Mais attention, hors de question d’y procéder avec l’aide de salariés : démonter une porte, qui plus est en verre, ne fait pas partie de la définition de leurs postes et encore moins de leurs missions. Non non ! Cela peut même représenter un risque physique majeur que l’entreprise ne saurait imposer !
Engager un prestataire ????!!! Voilà une procédure sensée !
Appeler un prestataire, (d’ailleurs : vers quel type d’entrepreneur faudrait-il se tourner ? « Démonteur de portes » ça existe ??) Lui exposer le problème. Négocier son tarif (parce qu’il en aurait assurément pour davantage de transport que de temps passé sur place). Convenir d’un RDV. Retenir ce créneau dans ton agenda. Prévenir les salariés du passage d’un prestataire et du potentiel bruit occasionné. Attendre la date de RDV (n’oubliez pas que depuis le début de l’histoire, on a passé du temps d’échanges, de réunions de validation et d’information !!)
Le jour J, regarder le gars débarquer dans les bureaux et, en exactement 2 coups de mains et à peine 30 secondes, (c’est forcément un gaillard !) soulever la porte et la déposer à vos cotés. Le remercier, lui serrer la main. Le raccompagner à la porte (celle de l'entrée, cette fois ci!). Remonter dans votre bureau. Regarder la porte ainsi finalement démontée, cette porte en verre, et se dire : "ouais quand même !"
Non ! Tout cela dépasse mes capacités de discipline. Et à défaut de penser à respecter des procédures, c'est au sens de l’humanité auquel je pense, là présentement !!!
Au moment où je vous écris, la porte, cette porte, est toujours en place puisque de démarche pour la démonter, personne n'a le courage de lancer (évidemment) !
Alors, comme le job d’un dirigeant, c'est d'anticiper et d’avancer, il n’est pas improbable que j’avance plus rapidement que prévu ! Vous savez parfois, un geste malheureux parce que trop rapide … ce jour là, je passerai la porte avec dynamisme (ça n'étonnera personne, me concernant), et son battant, trop vivement claqué dans mon élan, la brisera. Oh ! Zut alors !!! On se dépêchera d'évacuer ce qui en restera et conclura à un geste maladroit. 3 minutes plus tard, personne n’en reparlera.
Je ferai cela en pensant à tous ceux, sur cette terre, qui crèvent de problèmes bien plus cruciaux, dans des endroits qui n’ont même pas de portes, et qui rêvent (oui oui!) de venir travailler en France !