Le réveil sonne. Cette sonnerie que je connais par cœur et que je ne supporte plus certains jours ! Je n’ai pas entendu les ouvriers déjà arrivés et pourtant, le manège bruyant de leur va-et-vient sur les échafaudages a probablement commencé depuis une heure !
Il fait nuit noire dans ma chambre. Un pied après l’autre hors du lit. Je titube, pas encore éveillée. J’ouvre la porte et me dirige instinctivement vers le placard de la cuisine.
La pièce est inondée de lumière. Il va faire beau.
Au moment où je l’ouvre, la porte du placard fait ce tintement aigü typique qui a également le don de m’agacer les jours de gloomitude. Je saisis le pot avec une précision instinctive pendant que ma main droite cherche une cuiller dans le tiroir. J’ôte le couvercle du pot.
Il me rappelle inlassablement mon frangin Tieum. Ce même pot qu’il utilisait en quantités pour je-ne-sais quels produits chimiques. J’ai souvent l’impression d’être en train de me servir des cuillers de ces engrais toxiques et l’idée même d’en prendre une grande rasade m’amuse. Mais là, c’est sûr ; je ne suis pas encore apte à réfléchir aux ingrédients toxiques de Tieum!
Comme à chaque fois, d’abord, je me surprends à aplatir la poudre blanche. Si légère, si fluide. Je me rendors doucement en la caressant du dos de ma cuiller, accoudé au plan de travail, la tête molle et penchée, les yeux dans le vague, pas vraiment consciente de mes gestes ; et j’ai l’impression que le moment dure des plombes. C’est agréable.
J’y plonge enfin ma cuiller pour la remplir et la jeter dans un bol. Ce qui m’amuse ensuite, c’est de recouvrir cette poudre avec le lait. Pas trop. Pas assez, en fait. Pour que le mélange soit grumeleux, pour que cela soit gras et épais et pour pouvoir en rajouter, ensuite. Le mélange devient ocre. C’est qu’il est temps de le couler au fond de la poêle.
Les jours de bonne humeur, je m’applique à faire des petits cercles au fond de la poêle. 3 pas plus. Pour respecter une taille correcte. Et y revenir pour une seconde tournée.
Les jours plus gloomy, je verse le contenu complet du bol pour ne faire qu’un seul cercle. La flemme de patienter ou d’y mettre les formes, probablement.
J’aime beaucoup regarder la pâte gonfler et se creuser de petits trous. C’est grâce aux trous que je sais que c’est réussi.
Tout doucement, je m’éveille. L’odeur des pancakes commence à chatouiller mes narines… Après un aller-retour jamais très long, je les glisse dans une assiette alors que le sirop d’érable est déjà à coté de moi. A portée de main.
Les pancakes n’ont de raison d’être que lorsqu’ils sont chauds et, selon moi, ne supportent que le sirop d’érable ! J’ai déjà tenté la confiture de cerise noire ou celle d’orange. Mais rien d’aussi convénient que le sirop d’érable.
Alors, je fais couler le sirop sur un tout petit filet, précis, couvrant la surface de chaque pancake. En temps gloomy, il est sûr que je verse le sirop d’un coup, un seul, au centre du pancake et regrette à chaque fois d’en avoir versé trop.
Avec un petit filet, le pancake a le temps de se gorger du sirop, de l’absorber jusqu'à disparition… Pancakes et sirop d’érable diffusent à ce moment précis une odeur parfaite. Celle qui éveille enfin mes sens !
Je saisis frénétiquement couteau et fourchette et dévore goulûment mes pancakes.
Dégustant mon festin matinal, j’observe enfin le reste de la pièce. Je laisse traîner mon regard sur les photos de Paris. Je regarde à travers les fenêtres et constate que les voisins sont eux aussi réveillés. Les volets intérieurs sont repliés.
Comme à chaque fois, le doute me prend qqes secondes : me voient-ils ainsi, nue, dévorant mes pancakes ?!?
Non pas que j’aime particulièrement être nue ou en petite tenue, mais c’est le seul moment de la journée où je peux me permettre de l’être pour profiter complètement du froid qui m’empare. J’adore quand le froid me prend doucement, qu’il fait granuler ma peau. J’aime beaucoup résister toujours un peu plus, juste pour voir jusqu’où je peux aller. Faut dire que je ne suis pas spécialement frileuse !
Je ne suis pas encore suffisamment consciente pour être vraiment gênée par la situation, et puis, je sais qu’il y a fort peu de chances pour que les voisins me voient ainsi. Le reflet, le soleil, les plantes ... Et finalement, je me fiche de savoir si oui ou non je devrais… Je suis bien là, nue, devant mes pancakes !
Je m’applique à faire en sorte que plus aucune goutte de sirop ne reste, le sauçant avec les dernières miettes restantes.
Il n’y a pas encore de bruit chez moi. Je regarde le mouvement des palmes sur mon balcon. Leur verdure complète très bien les couleurs de mon intérieur.
Une fois les pancakes achevés, j’allume la radio. A chaque fois, j’hésite par commencer avec de la musique plutôt qu'avec les sérieuses informations quotidiennes… je vais enfin regagner ma chambre pour allumer mon ordinateur, ouvrir le volet, laisser entrer le froid par la fenêtre, un peu de froid encore ..
L’odeur des pancakes traîne dans tout l’appartement… Il est temps de m’activer … et ça tombe bien parce que le voisin sort sur son balcon !!! Oops .. en une seconde, je disparais derrière le bar de ma cuisine, agenouillée … Volatilisée !
Et même s’il n’a rien vu, je pouffe de rire quant au comique de la situation. Me voici nue, croupie au ras du sol, me cachant derrière les parois de ma cuisine américaine, commençant - l’air de rien- à avoir froid (parce que c’est bien beau de jouer les nordiques, mais on est pas à Marseille !) et essayant d’envisager un repli stratégique !
Je lève le nez du coin de ma cachette, juste pour voir où il en est, mon pti voisin … et … 1.. 2.. 3.. je cours vers la salle de bain… espérant, presque convaincue, que pas un seul petit morceau de mes fesses il n’aura vu !!!
Ces émotions m’ont réveillée… la journée peut commencer !